
Les limites de l’intelligence artificielle dans l’édition
11/6/25
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À mesure que l’intelligence artificielle progresse, ses outils deviennent chaque semaine plus puissants avec une avalanche de nouvelles fonctionnalités.
Dans nos articles précédents, nous avons traité des exemples d’utilisations de l’IA dans l’édition.
Mais attention à ne pas surestimer l’IA. Aussi performante soit-elle, l’intelligence artificielle n’est pas une baguette magique. Elle ne remplacera pas les éditeurs (et c’est une bonne nouvelle !)
Pour bien l’utiliser, encore faut-il connaître les limites de l’intelligence artificielle pour les éditeurs.
Dans cet article, nous vous proposons un tour d’horizon des limites de l’IA pour les éditeurs afin de vous aider à y voir plus clair.
💡 Si vous souhaitez en savoir plus sur les bonnes pour utiliser l’IA dans le secteur de l’édition, consultez notre guide pratique.
3 limites des modèles d’IA à connaître

1) Une grande mémoire associative, qui se périme
L’intelligence artificielle fonctionne grâce à une immense base de données sur laquelle elle a été entraînée.
Cela lui donne une impressionnante mémoire associative. Elle peut mobiliser rapidement des connaissances générales et produire des réponses cohérentes.
Mais cette mémoire n’évolue pas en temps réel. Un modèle comme GPT-3.5, sur lequel repose ChatGPT, a été entraîné avec des données s’arrêtant en 2020.
Il peut donc donner des réponses détaillées sur les tendances éditoriales ou les prix littéraires… jusqu’en 2020.
Mais interrogez-le sur des événements récents comme le lauréat du Goncourt 2024 ou la mise en place de Filéas en 2025 et ses réponses risquent d’être incomplètes, voire totalement inventées.
Depuis 2023, ChatGPT est connecté à Internet via le moteur de recherche Bing, ce qui lui permet d’accéder à des informations récentes. Toutefois, la fiabilité des sources disponibles en ligne reste variable.
2) Un manque de créativité
Les modèles d’IA n’ont pas la capacité de sortir des sentiers battus. Ils excellent dans la recombinaison de ce qu’ils ont vu mais ils peinent à générer des contenus créatifs sur des sujets inédit.
La raison en est que ces modèles sont entraînés sur des données préexistantes, issues de textes déjà publiés, d’encyclopédies, de forums, de livres, d’articles ou de sites web. Il est donc difficile pour les modèles d'IA de créer une image qui dépasse ce qui est concevable.
3) Les modèles IA peuvent “halluciner”
L’un des défauts majeurs des modèles d’intelligence artificielle est leur tendance à “halluciner”.
L'hallucination des modèles d'IA désigne la génération de réponses fausses ou
incohérentes, présentées comme si elles étaient correctes.
Ce phénomène survient lorsque le modèle, confronté à une question pour laquelle il ne dispose pas d’informations fiables ou claires dans ses données d’entraînement, comble les vides en “inventant” une réponse.
Il ne ment pas intentionnellement, il tente de générer la suite la plus plausible selon les exemples qu’il a appris, même si cela conduit à des erreurs factuelles.
En raison de ces trois limites, les modèles d’IA ne sont pas adaptés à la réalisation des missions suivantes pour les professionnels de l’édition :
Interpréter le sous-texte et les intentions d’un auteur
L'IA excelle dans les analyses linguistiques, stylistiques, structurelles et narratives, mais elle est incapable de percevoir la créativité, l’originalité, ou de comprendre les nuances et émotions. Elle est dépendante des données existantes.
Un outil d’IA pour l’édition peut affiner une présélection, mais elle ne pourra jamais remplacer l’intuition humaine.
Bien qu’elle soit capable de produire des textes cohérents ou des images esthétiques, l’IA ne comprend pas le monde comme un humain.
Elle analyse des patterns statistiques. Par exemple, un modèle de langage génère le mot suivant dans une phrase en fonction de la probabilité calculée, sans véritable compréhension du sens global.
Cela peut mener à des pertes de contexte : l'IA peut se perdre dans de longs textes ou ne pas saisir les ambiguïtés.
Par exemple, si un personnage dit dans un roman : « Génial, encore une panne d’électricité… », l’IA pourrait interpréter ce passage comme une remarque positive, faute de comprendre l’ironie.
Un éditeur humain, quant à lui, capte les sous-entendus, l’ironie et l’émotion d’un texte, des éléments que l’IA peine à percevoir. Ce qui peut sembler anodin devient alors un enjeu critique dès lors qu’il s’agit de corriger ou traduire un contenu littéraire.
Apporter des réponses aux questions juridiques complexes
L’intelligence artificielle peut être utile pour expliquer les grandes lignes d’un contrat d’édition ou réaliser une analyse préliminaire d’un document juridique.
Elle peut, par exemple, mettre en évidence des clauses potentiellement abusives ou non conformes, comme une cession de droits illimitée sans rémunération.
Cependant, ses capacités restent limitées dès qu’il s’agit de prendre en compte un contexte juridique spécifique.
Sans accès à des bases de données actualisées, l’IA ne peut pas garantir la fiabilité de ses recommandations. Elle ne remplace donc pas l’expertise d’un juriste.
Réaliser une création originale (texte ou visuel)
Les performances de l’IA en matière de fiction ne sont pas encore à la hauteur des attentes. Jennifer Becker, auteure et universitaire allemande, déclare lors d’une table ronde lors du salon de Frankfort : “Je ne vois pas encore le moment où nous confierons le travail d’écriture à l’IA de manière totalement autonome.”
L’IA est excellente pour imiter des styles ou combiner des éléments existants, mais elle peine à surprendre. Si on lui demande d’écrire une histoire d’amour, elle risque de produire un récit stéréotypé, plein de clichés : fleurs, coucher de soleil, car ce sont des motifs récurrents dans ses données.
Elle aura du mal à trouver un angle nouveau inattendu, ce qui est souvent la marque d’un grand auteur humain.
On dit parfois que les modèles actuels n’ont pas d’intention ni de volonté créative propre : ils n’écrivent pas pour exprimer quelque chose, ils écrivent parce qu’on leur a demandé de le faire et selon ce qu’ils ont “digéré” des autres textes.
Garantir l’exactitude des informations
L’IA peut fournir des informations intéressantes mais elle ne peut garantir leur exactitude dans tous les cas. C'est à l'éditeur humain de vérifier ces informations et d’assurer leur fiabilité.
Notamment au niveau des chiffres et des citations, les outils d’IA ont tendance à inventer des réponses.
Cela pose un problème particulier dans le cas des citations de personnalités célèbres.
Les traductions proposées sont souvent imprécises, approximatives, ou déformées. Une phrase prononcée en anglais par un auteur anglo-saxon peut se retrouver mal adaptée en français, avec une perte de sense.
Il faut donc éviter de se baser sur des sources données par l’Intelligence Artificielle dans un article ou une revue scientifique, le risque d’erreur est élevé.
Comprendre un texte long dans sa globalité
Un autre aspect est la compréhension globale d’un texte long. Les IA ont une mémoire limitée en termes de tokens (morceaux de texte) pour conserver le contexte.
Si un roman fait 300 pages, l’IA ne peut pas avoir l’intégralité du roman en tête en une seule génération (à moins de modèles spécifiques très récents, mais cela reste limitatif).
Donc pour des tâches d’édition complexes (par exemple détecter une incohérence entre le chapitre 2 et le chapitre 18 d’un roman), un humain demeure bien supérieur.
L’IA pourra gérer des contextes plus courts. Certains modèles vont jusqu’à l’équivalent de 50 pages de texte en mémoire, ce qui est déjà bien, mais pas suffisant pour tout.
Arbitrer les dilemmes éthiques dans les choix éditoriaux
Les systèmes d’intelligence artificielle soulèvent de nombreuses questions éthiques pour les professionnels de l’édition. Parmi les plus préoccupantes : les biais, les hallucinations, et le manque de transparence des modèles, souvent désigné sous le terme d’« effet boîte noire ».
L’éthique de la recommandation
Par exemple, l’utilisation de l’IA pour recommander des lectures peut améliorer l’expérience client, mais elle peut aussi enfermer l’utilisateur dans une bulle, ne lui suggérant que des livres similaires à ceux qu’il connaît déjà.
👉 Exemple : un lecteur qui a lu plusieurs thrillers écrits par des auteurs masculins se verra proposer encore et encore des ouvrages similaires, sans jamais découvrir des voix féminines, des genres littéraires différents ou des publications indépendantes. On parle ici d’effet de filtre ou de bulle algorithmique, déjà bien documenté dans le secteur des plateformes de streaming ou des réseaux sociaux.
L’effet “boîte noire”, difficile de comprendre les choix de l’IA
Ill est souvent impossible d’expliquer pourquoi une IA a pris telle ou telle décision. C’est ce qu’on appelle l’effet boîte noire. Dans un contexte éditorial, cela pose problème dès qu’il s’agit de justifier un choix de publication, une mise en avant ou une exclusion.
Les biais algorithmiques
Les IA ne sont pas neutres. Elles sont entraînées sur des données humaines, qui reflètent les inégalités et les stéréotypes du monde réel. Résultat : elles peuvent produire des recommandations biaisées, invisibiliser certains types d’auteurs ou de contenus, voire reproduire des discriminations.
L’IA doit donc être utilisée avec précaution, en respectant des principes éthiques et des réglementations comme le RGPD.
Échanger avec les auteurs dans une relation humaine
En termes d’empathie et de valeur ajoutée intellectuelle, on peut penser aux relations auteur-éditeur : un outil d’IA ne remplacera pas le dialogue, le questionnement que l’éditeur humain peut avoir pour pousser l’auteur à améliorer son manuscrit.
L’IA donnera des suggestions brutes. Elle peut dire “ce passage est peu clair” si elle détecte un problème syntaxique, mais elle ne comprendra pas en profondeur les intentions de l’auteur pour orienter la réécriture de manière pertinente.
Anticiper et comprendre les attentes des lecteurs
L’intelligence artificielle peut analyser des tendances passées, repérer des motifs récurrents dans les ventes ou identifier les thématiques qui fonctionnent.
Mais elle ne peut pas prédire quel genre littéraire sera un succès en 2026 et encore moins repérer à coup sûr le prochain succès parmi les manuscrits que vous recevez.
Traduire un contenu avec un style artistique
Les traducteurs automatiques ont fait d’énormes progrès, mais lorsqu’il s’agit de style littéraire, de nuances culturelles ou d’expressions idiomatiques, l’intervention humaine reste essentielle.
Une traduction 100 % générée par l’IA peut sembler mécanique et manquer de naturel. Le rythme, la musicalité, le choix des mots, autant d’éléments subtils qui échappent encore aux algorithmes.
Résultat : une lecture parfois plate, loin de la richesse stylistique attendue.
Confier une traduction artistique à l’IA seule, c’est donc risquer de perdre une partie de l’âme du texte. L’IA peut assister le travail mais ne remplace pas le regard sensible et le savoir-faire du traducteur.
Connaître les limites de l’IA pour mieux avancer
Vous disposez désormais d’une vue d’ensemble des principales limites de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’édition. Bien sûr, les outils évoluent rapidement, et certaines de ces limites pourront être repoussées à l’avenir.
Mais en attendant, il reste essentiel d’adopter de bonnes pratiques pour tirer parti de l’IA en toute sécurité.
📘 Pour aller plus loin, retrouvez nos conseils concrets et recommandations dans notre guide dédié à l’usage de l’IA dans l’édition.
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